samedi

Chapitre 1.3:



France.

Gabriel se réveilla en sursaut, trempé du fluide glacial de la peur, le palpitant dansant sur un rythme endiablé qu'un groupe de hardcore métal devait jouer en ce moment même dans son corps. S'épongeant le front de manière négligée, il porta toute son attention sur le mur en face de son lit...ou plutôt ce qu'il en restait. Cela faisait une semaine qu'un trou béant y était apparu, un couloir noir dont on ne pouvait voir le bout, ni les murs d'ailleurs tellement l'éclairage était mauvais. Le garçon avait par ailleurs tenté de braquer le faisceau lumineux d'une lampe de poche à l'intérieur mais la lumière semblait être absorbée comme dans un de ces trous noirs de l'espace qui pouvaient absorber toute matière.
Étrangement, il était le seul capable de le voir, les autres personnes qui regardaient le tunnel ne voyaient qu'un mur... Totalement déconcerté, il avait déjà tenté de pousser un de ses amis contre le mur pour le faire réaliser que le mur n'en était plus un mais il avait été bloqué avant de passer à l'intérieur, comme si la façade avait bien été là.
Mais ce n'était pas tout, Gabriel entendait des voix émaner de l'ouverture, des voix qui l'appelaient, du moins c'est ce qu'il croyait car il était attiré par ces appels, il se sentait directement concerné, c'était tout à fait logique comme pensée puisqu'il était le seul à voir le couloir et à entendre les voix.
Il avait cru d'abord avoir des hallucinations, mais, poussé par la curiosité, il avait tenté de glisser un bras dans l'entrée du mur, et son membre avait disparu, avalé par les ténèbres de l'endroit. Il l'avait bien vite retiré, effrayé de ce qui pouvait l'attendre à l'intérieur et s'était promis de ne plus chercher à traverser ce tunnel.
Le hasard, ou le destin, avait fait que la chose était apparue juste devant le lit qu'il occupait dans le vieux hangar désaffecté qui lui servait de maison à lui et toute une bande de désœuvrés... L'endroit était bien pratique pour se protéger des dangers des rues la nuit et cela devenait même un lieu vital en hiver quand le froid se faisait insupportable pour le corps. C'était un problème de réglé pour sa petite famille; il subsistait quand même celui de la faim, préoccupant le plus clair du temps et bien trop souvent source de larmes lorsqu'une âme ne pouvait plus supporter le traitement qu'on lui infligeait et quittait son corps pour laisser ce dernier sans vie.
Gabriel, malgré son tempérament rêveur qui lui permettait de tenir bon dans cet environnement destructeur, était pour le groupe un "chasseur", c'est lui qui ramenait de l'argent, de la nourriture et autres matériaux nécessaires ou utiles qu'il récupérait de diverses manières, allant de la récupération de poubelles, jusqu'au vol avec intrusion.
Aux yeux du groupe, tous les moyens étaient bons pour survivre dans le monde de ceux qui meurent gras. C'est comme ça qu'ils appelaient les gens de l'extérieur, ces riches qui se plaignent de ne pas l'être plus que leurs voisins, les Gras.
Bien sûr, Gabriel et les autres chasseurs ne s'en sortaient pas toujours indemnes dans leurs escapades, il arrivait qu'un père de famille se réveille, sorte son arme et tire pour sauver la brique de lait manquante entre les blocs de foie gras et les bouteilles de saint-émillion, ou encore pour récupérer les antiseptiques qui auraient pu sauver la vie d'un enfant mourant, rongé par l'infection d'une blessure quelconque. Il fallait parfois donc user de la force pour se défendre et mettre hors d'état de nuire leur assaillant ou bien le ralentir suffisamment pour pouvoir fuir.
Les survivants avaient malgré tout un gros défaut, c'était leur forte compassion. Ils l'étendaient même jusqu'aux Gras où ils culpabilisaient en leur volant des bricoles qui représentaient pour eux de véritables trésors, peut-être qu'ils possèdent toute cette nourriture rangée dans plusieurs placards (c'est ce qui avait le plus surpris Gabriel lors de ses premières missions de récupération, lui habitué à leur garde-manger, une ancienne boite de télévision, jamais remplie entièrement, mais suffisamment, parfois, pour préserver la vie dans leur communauté) parce que ça leur est nécessaire, si ça se trouve en prenant le peu qu'ils volaient, ils causaient la mort d'un membre de la famille victime du larcin... C'était toujours ce que le garçon et sa famille pensaient, et cela les attristait, au point où il était déjà arrivé qu'une deuxième chasse soit organisée dans les maisons pour rendre des biens quand il y avait plus de nourriture que d'habitude.

Gabriel voyait ceux qui partageaient le hangar comme sa famille, mais il est évident que ce n'est pas une famille au sens génétique du terme, non. D'ailleurs ses parents étaient morts il y a deux ans dans leur sommeil, le froid avait eu raison de leur corps qui furent retrouvés bleutés au lever du jour. Le garçon avait donc depuis bien longtemps perdu le droit de penser le mot famille comme un lien de sang, dans ce cas il s'agissait d'une famille liée par un but commun: survivre.
Ce que Gabriel avait adoré dans leur maison de fortune, c'était la fenêtre.
Un morceau de plexiglas étendu sur un bon mètre de large et permettant de voir ce qui se tramait dehors et plus précisément sur l'ancien terrain d'envol qu'utilisaient les avions ayant autrefois été là. C'était comme si on était dehors, mais les engelures en moins. Et le garçon adorait ça! Parfois il arrivait qu'un animal s'arrête non loin de là et l'adolescent le contemplait pendant des heures en se demandant s'il était possible de l'attraper, mais surtout s'il était bon à manger. 
Il n'avait pas à se plaindre, les chasseurs bénéficiaient d'un traitement de spécial qui leur permettait de manger plus que les autres puisque leur survie était vitale aux autres, y compris leur force. C'est pourquoi il avait un physique assez bien développé pour un ado de dix-sept ans, une musculature saillante, plutôt grand et fin avec un beau visage ovale dont les traits se sont durcis à force d'épreuves. Ses yeux étaient pareils à ceux d'un chat, légèrement plissés et d'un brun rougi à force d'avoir laissé coulé des larmes, il avait des cheveux courts à raz pour éviter d'être gêné lors des raids, c'était plus froid pour son crâne, mais moins risqué, un couteau ou une paire de ciseaux s'occupait régulièrement de leur faire garder leur taille habituelle. Leur couleur était passée du marrons foncé au noir en grandissant, et ses parents, toujours en vie lors de cette transformation, avaient cru qu'il s'agissait de la crasse qui s'emmagasinait sur le système pileux de leur enfant.
Son style vestimentaire par contre, était très très simple, un vieux tee-shirt trop grand pour lui mais qu'il rentrait dans son pantalon aux multiples poches maintenu à sa taille par une ceinture abimée trouvée dans une poubelle il y a quelques mois. Et c'était tout. Pas de sous-vêtements ou de chaussures ou autres fioritures sensées donner un style ou une beauté artificielle.
Il les enlevait pour dormir car il lui arrivait justement d'avoir des cauchemars la nuit comme celui qu'il venait de faire et comme le lavage des vêtements se faisait le lundi et qu'aujourd'hui on était mardi, il lui aurait été bien désagréable de devoir supporter un surplus de sueur sur celle qui s'accumule habituellement la journée.
Frottant ses yeux ensommeillés, se demandant bien à quel moment de la nuit il pouvait être, Gabriel se leva et passa entre les rangées de paillasses sur lesquelles dormaient ses frères et sœurs pour s'approcher de la fenêtre, rituel qu'il faisait après chaque rêve désagréable.
"viens..."
Un murmure dont il connaissait déjà la provenance, le tunnel lui parlait encore. L'adolescent avait fini par s'habituer à la chose et n'y prêtait plus de réelle attention.
"bientôt tout va disparaitre, tu dois venir me libérer."
Dehors la lune brillait de son bel éclat blanc parsemé de tâches noires, entourée de ses amies lumineuses qui semblait faites de cristal.
"passe par le couloir, maintenant!"
Gabriel tressaillit. C'était la première fois que la voix lui adressait un ordre aussi direct, il se retourna vers sa couche, cherchant à discerner la partie du mur où se trouver l'ouverture dans la pénombre, chose qui était aussi aisée que de discerner un chat gris parmi d'autres durant une nuit sans lune.
"Gabriel...approche-toi..."
Son prénom! La chose avait prononcé son prénom pour la première fois! Il n'était pas fou, il l'avait bel et bien entendu, il en était sûr!
Se coulant à nouveau entre les dormeurs, il retourna vers son propre lit pour observer la paroi trouée.
Son corps frissonna sans raison apparente alors qu'il avait le nez à quelques centimètres du vide ténébreux qui lui faisait face et son esprit sembla s'ébranler pour un danger dont le garçon ignorait la nature... Oui, il le sentait vraiment fortement en lui maintenant, un danger terrible était imminent mais...il ne venait pas du couloir, il venait de la fenêtre.
Instinctivement, le chasseur se retourna et constata que la lumière diffuse projetée par la lune à travers la fenêtre s'était mue en un flamboiement chaotique qui s'était répandu à toute la pièce. Surpris et effrayé par ce phénomène extraordinaire, le garçon ne sentit pas la main se saisir de lui et le tirer violemment dans l'ouverture alors qu'au même moment, à l'unisson, sa famille inspirait sa dernière bouffée d'air.


                                                         ***


Gabriel tomba sur un sol presque aussi glacé que celui du hangar, mais ce n'était pas le même sol, il s'en rendit rapidement compte quand il découvrit que celui-ci était constitué de dalles diverses sur lesquelles étaient gravées des gribouillis illisibles.
Derrière lui, une sorte de trône d'or et de satin rouge sur lequel reposait une couronne d'argent, de laquelle émanait une force terrifiante.
"Mais où est-ce que je me suis retrouvé...?" lâcha le garçon malgré lui.
Il avait l'impression qu'on l'avait envoyé chez un Gras car il n'y avait que chez eux qu'on pouvait trouver de l'or. Mais la chose était tout autre, il le sentait au fond de lui.
Soudain la force projetée par la couronne se modifia, faisant vibrer l'air d'une manière étrange, vibration qui finit par se transformer en grésillement, grésillement qui finit par se transformer en une sorte de voix qui demandait simplement:
"libère-moi."

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