jeudi

Chapitre 1.7: 



Deux jours déjà... Les trois jeunes suivaient le symbole rouge, sensé les guider, sur le téléphone de Suzanne depuis deux jours. La faim les tiraillaient, le sac que Suzanne avait subtilisé dans le seul village qu'elle et l'autre Anglais avaient vus depuis leur arrivée ici, s'était allégé de la nourriture qu'il contenait. La plus grosse partie avait été donnée au pauvre Akiro qui avait tenté de protester, repoussant le pain, ou autre nourriture subtile et indéfinissable qu'on lui tendait, il ne voulait pas être favorisé simplement parce qu'il était plus faible... Mais il eut à se rendre à l'évidence de son sérieux handicap, lorsque après une demi journée de marche sans se nourrir il s'était effondré au sol, dans les vapes. Son corps était trop vite épuisé et il fallait souvent lui laisser un peu de temps pour se reposer, perdant ainsi le quart de la journée, temps qui pourrait être précieux et décisif à leur survie. L'eau n'était pas un soucis, il y avait régulièrement des sources claires qui coulaient par ci par là, dans lesquelles les adolescents se seraient volontiers jeter tant il faisait chaud, mais marcher encore pendant plusieurs jours peut-être avec des vêtement lourds et collants n'était pas une perspective réjouissante. Et il leur fallait se dépêcher avant de mourir de faim.
Parfois, la bonne humeur revenait quand Suzanne laissait éclater sa joie à mettre en pièce des monstres divers surtout composés de Mantis ou de Srims, et elle le faisait avec une facilité effrayante, Allen n'avait même plus besoin de dégainer pour l'aider, elle avait atteint un niveau aussi élevé que lui... C'était inexplicable. Son sabre (Akiro avait voulu leur expliquer qu'il s'agissait d'une arme de son pays, un katana, mais peut-être le savaient-ils déjà) en lui-même était spécial...il en émanait une aura glaciale et primitive, dangereuse. Le noble aurait bien aimé qu'elle laisse son arme pour céder une telle activité de mort à des personnes plus aptes qu'une jeune femme comme elle, à des hommes sensés la protéger. Mais alors qu'il rêvassait tranquillement sur la route il n'avait pas remarqué un de ces lions putréfiés qui lui fonçait dessus, et que Suzanne avait découpé d'un simple mouvement, dégainant et rengainant en une seule seconde, lui sauvant la vie. Le regard qu'elle lui avait alors lancé était porteur d'un message que même le muet avait comprit "je n'ai pas besoin de toi, laisse moi me battre seule".
Le ciel était clair aujourd'hui encore, aucun nuage en vue, laissant les rayons de l'astre solaire calciner lentement tout ce qui se trouvait à sa portée. Le moral du groupe était si bas que plus personne ne se regardait, ni ne se parlait, ils avançaient comme des automates programmés pour avancer jusqu'à ce que mort s'en suive... Il était évident qu'ils s'étaient questionnés sur le fait que peut-être la boussole ne les guiderait nulle part mais même s'ils décidaient de ne pas la suivre, ils mourraient de faim et donc n'avaient aucune autre alternative que d'obéir à l'appareil. L'arrivée dans une longue plaine, les plaçant hors de l'abri ombrageux que leur avait auparavant offert les arbres ne fit qu'augmenter leur désarroi, les nerfs allaient lâcher d'eux-même! Enfin, il aurait été plus correct de dire "auraient" puisque soudainement, la flèche de la boussole se retourna, indiquant la direction opposée à celle indiquée à l'instant.
"C'est quoi ce foutoir?!" erructa  l'Anglaise en s'arrêtant sans prévenir, surprenant ses compagnons qui ne surent s'arrêter avant de lui rentrer dedans. "Que se passe-t-il?" demanda Allen qui ne s'attendait pas à une telle animation dans la journée tandis qu'Akiro questionnait ses amis avec ses grands yeux interrogatifs, montrant encore une fois qu'il avait progressé dans la communication muette.
Sans répondre, la jeune fille se retourna et marcha de manière énergique dans la direction d'où ils venaient et, après quelques mètres, stoppa net sa marche, avec un air mal assuré et pourtant rassuré.
"Je crois que nous sommes arrivés..." murmura-t-elle hésitante.
Le Chinois regarda autour de lui, un de ses sourcils plus relevé que l'autre semblait questionner l'univers sur la nature de la blague que l'on lui faisait: il n'y avait rien du tout autour d'eux à part une végétation en train d'implorer qu'on lui donne à boire pour ne pas s'enflammer.
Allen restait silencieux et attendait d'un air rêveur que Suzanne lui dise que faire, alors que celle-ci n'en avait aucune idée, elle scrutait les alentours comme son ami muet le faisait et sa déception allait en grandissant... Même les animaux avaient déserté l'endroit, laissant encore plus de doute aux trois jeunes esprits devenus à présent trop faibles pour rester optimistes. Pourtant, contre toute attente une douce odeur sucrée s'éleva dans les airs, comme si une personne en plein travail culinaire était en train de faire chauffer du miel, ouvrant un nouveau gouffre dans le vide des estomacs présents. D'où provenait cette odeur, la plaine était déserte, et mis à part des monticules de terres de diverses tailles, on ne discernait rien à l'horizon. La réponse arriva dans un vrombissement joyeux...
 

Une énorme libellule, du moins la forme du corps était la même, des ailes de couleur arc-en-ciel, de gros yeux globuleux aux milles reflets argentés et un abdomen long et fin portant une série de pattes en crochet, descendit du ciel, en direction du petit groupe. La différence devait être ces lames organiques dispersées sur les pattes comme un millier d'épines sur une jeune rose, ainsi que ces énormes dents qui auraient fait pâlir Bram Stoker lui-même... Le monstre laissait suinter de sa bouche, une mélasse de couleur jaune de laquelle s'échappait une odeur délicieusement sucrée, sûrement celle que les trois adolescents avaient senti. La chose volante s'arc-bouta de manière menaçante en voyant les jeunes gens qui avaient dégainé leurs armes pour ceux qui en possédaient, Akiro, lui, s'éloigna suffisamment pour ne pas être pris dans la bataille qui se préparait.
L'insecte géant devait bien faire cinq bons mètre de long et un de hauteur, ce serait un affrontement plus complexe que d'habitude pour Suzanne et Allen qui avaient déjà bandés tous leurs muscles en préparation de l'assaut qui n'allait pas tarder. En effet, le monstre fonça sur les deux, ou plutôt entre les deux, il était assez imposant pour les frapper d'un coup. Suzanne maintint son sabre aussi droit qu'elle le pouvait face à elle, dans l'espoir que la chose s'y empalerait, mais c'était comme brandir une aiguille face à un chien, cela ne suffirait qu'à la piquer. Les deux nobles furent projeter en arrière dans un fracas qui effraya Akiro, il y avait peu de chance de se sortir indemne d'un tel coup, cela revenait à se lever tout sourire après avoir été frappé par une voiture lancée à pleine vitesse. Mais comble du miracle, Allen se redressa sur ses jambes qui ployaient légèrement sous l'effort, il se maintenait debout à l'aide d'un de ses sabres qu'il avait planté dans le sol et menaçait son ennemi avec ridicule en brandissant l'autre. Suzanne était sonnée et ne savait déterminer ou se trouvait ses jambes et ses bras, ce qui l'empêcha de se relever et lui fit faire à la place de comiques roulades ponctuées par des gémissements de douleur.
La libellule fit demi-tour dans sa lancée et, voyant qu'un de ses ennemis ou futur repas, selon ce qu'elle déciderait d'en faire, était toujours en vie, s'élança à nouveau dans un battement d'aile meurtrier, tous crocs sortis, prêt à découper de la viande humaine.
Le Chinois sut qu'il n'y avait plus d'espoir, il n'y en avait jamais eu, il aurait tant aimé cacher ses yeux, mais il ne pouvait laisser mourir ses amis de manière lâche, il courut vers l'Anglais à toute jambe, espérant l'atteindre avant l'insecte, belle illusion. Sa course inutile fut freinée par une explosion soudaine, projetant terre, herbe sèche et fumée blanche du sol. Le choc le fit tomber assis par terre, sans savoir ce qu'il venait de se passer, ne voyant qu'une brume fantomatique s'élever autour de lui, alors qu'une autre explosion retentissait non loin de lui, juste devant Allen, plaquant ce dernier au sol. La nouvelle colonne de fumée fit faire demi-tour au monstre qui ragea intérieurement de ce nouvel obstacle d'origine inconnue.
L'Anglais observa le trou qui s'était creusé devant lui, incrédule et l'air complétement idiot par la surprise. Que venait-il de se passer.
"Putain, il se passe quoi là?! Je vois rien et j'entends la guerre tout autour de moi!" brailla Suzanne toujours aussi secouée par sa collision.
Mais personne ne l'avait écoutée, tous avait l'oreille centrée sur des coups de feu, sortis de nulle part eux aussi, et presque silencieux, ce n'était qu'une légère détonation suivi d'un sifflement dont l'objectif était clair: tuer.
La libellule poussa un cri strident, un peu comme le gargouillis d'une grenouille en synchronisation avec les cri-cris d'une cigale, tout cela amplifié par le simple fait que le monstre était bien plus grand qu'un batracien ou un insecte de la Terre.
Puis ce fut le silence suivi très vite par la chute d'un objet lourd et mou, exprimant la fin d'une vie et la continuation de celle des autres.
Akiro pleurait, toujours assis sur le sol, ne pouvant exprimer son chagrin ou appeler ses amis, la voix toujours éteinte tandis qu'Allen tentait d'aider son âme sœur à se relever de manière aussi précautionneuse que possible, des fois que le tireur invisible leur en voudrait aussi. Une légère brise passa, dispersant les fumées blanche, rendant le paysage à nouveau visible aux yeux... Mais celui-ci était toujours aussi sec, brûlant et désert, jusqu'à ce que, de derrière un des monticules de terre, sortit un enfant.
"Suzanne, Allen, je suppose." lança-t-il aux Anglais comme s'il avait demandé sa route à un passant.
Allen replaça correctement ses cheveux en observant le garçon s'approcher de lui d'un pas rapide et souple, alors que Suzanne, à son habitude, ne se retint pas.
"Bordel! Mais t'es qui le môme?! C'est toi qui a fait tout péter?"
Le Chinois avait fini par se lever pour rejoindre ses camarades, les joues luisantes d'une peine déjà remplacée par la joie de se savoir sois-même et ses amis toujours en vie, tout en évitant soigneusement l'énorme cadavre insectoïde qui lui barrait la route.
"Je suis Lucas Kahn. Je suis désolé de vous avoir fait peur, il me fallait dévier la route de ce truc pour pouvoir l'abattre...."
L'enfant s'interrompit un instant en voyant le regard de ses interlocuteurs s'illuminer à l'annonce de son nom, puis comme personne ne disait rien, il continua:
"...mon père a dû vous faire parvenir le moyen de me rejoindre. Je m'excuse de son absence mais il est mort en arrivant ici. Nous devrons donc nous débrouiller tous ensemble? Ah et nous devrions être rejoins rapidement par une autre personne, une jeune fille, Sakura Yóukè si je ne me trompe pas."
Akiro voulut intervenir avec sa gestuelle habituelle mais il fut devancé par Suzanne, bien plus vive.
"Quoi? Quoi? Quoi? Je comprends rien là! On fout quoi ici? On a marché pendant deux jours pour arriver ici, on crève la dalle, et c'est tout juste si lui n'est pas mort! Dit-elle en désignant le Chinois. Je pense que maintenant tu peux nous parler plus clairement, c'est quoi qu'il se passe?"
Lucas regarda ses nouveaux compagnons, les jaugeant du regard, tentant de déterminer s'il pourrait en tirer quelque chose dans cet environnement hostile... Une jeune femme qui semblait forte, rapide et motivée, de laquelle émanait une sensation étrange, d'effrayant, d'animal. Un adolescent charismatique, l'air plutôt débrouillard, un brin trop rêveur peut-être.... Et enfin, cet autre garçon, dont le regard bridé ne laissait pas de doute quant à ses origines, qui était-il? Il semblait trop faible pour servir à quoi que ce soit, plus un poids qu'une aide en fait. Une tristesse au fond des yeux laissait aussi présager une trop grande faiblesse d'esprit, et Lucas se promit de réfléchir à ce qu'il ferait de celui-là.
"Bon, suivez-moi, ici nous ne sommes pas en sécurité."

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