samedi

Chapitre 1.4:


Amérique.

"Monsieur Kahn? Je croyais que nous ne devions pas vous voir aujourd'hui...? Et encore moins avec votre fils."
Le scientifique s'empourpra suite à cette remarque, il ne savait pas du tout comment réagir face à la situation dans laquelle il s'était fourré tout seul. Enfin, presque seul puisque son fils l'accompagnait... Celui s'interposa justement en soupirant:
"Laisse-moi faire."
Et il pointa le colt qu'il tenait caché dans son dos depuis leur arrivée sur les lieux pile vers la tête du garde qui leur barrait la route et tira. Le pauvre homme n'eut même pas le temps de prévoir la fin de sa vie, il ne paraissait même pas surpris quand la balle avait traversé son front, traçant une ligne rouge parfaite à l'arrière de son crâne.
Il n'y eut aucun son, Lucas avait pris soin d'installer un silencieux de sa propre fabrication sur l'arme pour éviter d'ameuter les personnes qui pourraient se trouver alentour.
"Tss... Un seul garde. Et il ne s'est pas plus inquiété que ça en te voyant." lâcha-t-il en poussant le corps à l'aide de ses pieds pour dégager le passage.
"Tu n'étais pas obligé de faire ça!" pleurnichait son père en tentant de ne pas regarder le mort, la vue du sang le répugnant trop... En tout cas, celui venant du cadavre d'un homme qu'il avait longuement côtoyé.
"Si je lui avais laissé plus de temps à la réflexion, il aurait pu alerter d'autres gardes et notre plan aurait été à l'eau: je n'ai pas assez de munitions sur moi pour arrêter tout le centre."
Le scientifique secoua la tête pour effacer l'image qu'il venait d'avoir dans son esprit représentant son fils sur une pile de cadavres en blouses blanches maintenant rougeoyantes en train de tirer sur toute vie présente comme un fou... Il se demandait s'il avait fait le bon choix.
Cette décision remontait à il y a plusieurs années, quatre pour être exact, le jour de la mort de sa femme. Un suicide.
L'homme devait l'avouer, il n'avait jamais été présent pour sa compagne, ni pour son fils d'ailleurs... Depuis qu'il avait eu ce job au Centre de Développement des Technologies Quantiques Avancées, tout son temps passait dans son travail, en particulier sur un projet qu'il avait lui-même lancé mais dont il fut plus ou moins écarté. C'était alors une journée tout à fait normale, où l'on effectuait des tests à l'aide de l'invention de Kahn pour évaluer sa fiabilité. Ce n'était pas un appareil anodin, mais plutôt un pas monstrueux pour la science. En effet, l'engin permettait, selon les plans, de passer dans une réalité parallèle à celle de la Terre pour arriver dans un monde inconnu, une nouvelle planète encore inexplorée dont l'emplacement dans l'univers était inconnu à l’œil de la science. Après une dizaine d'années de travaux intensifs, la machine avait été créée et l'on procédé désormais aux tests pour savoir si on pouvait prendre le risque d'y faire entrer un humain. Puis LA nouvelle était tombée, celle qui allait tout changer...
Une alerte de niveau maximale avait été mise en place, tout le monde était sur les nerfs, la peur avait envahi les locaux et on pouvait entendre les hurlements des supérieurs parcourir les différentes salles du centre afin de faire accélérer le travail en cours. Une météorite, d'une taille presque égale à celle de la Terre fonçait droit sur eux, à une vitesse incroyable. C'était l'apocalypse en vrai, inévitable, destructeur. Scientifiquement, un phénomène pareil était impossible de manière naturelle, mais il fallait se rendre à l'évidence: la chose était là et ils allaient mourir s'ils ne faisaient rien.
La seule chance pour l'humanité était donc centrée sur le projet Kahn qui permettrait alors de fuir loin d'ici et d'éviter de brûler vif ou d'exploser à l'arrivée de "Ades" (nom que les astronomes à l'origine de la découverte avaient donné à leur météore planétaire, pensant ainsi devenir célèbres alors que le gouvernement les avait supprimés dans l'heure pour que jamais la nouvelle ne se répande).
Malheureusement il leur restait à peine suffisamment de temps pour achever les tests au complet, jamais tous les humains ne pourraient passer la porte de l'appareil pour être sauvés, il fut donc réalisé une sélection qui déciderait quels seraient ceux qui pourraient être sauvés, en se basant sur des critères stricts quant à l'aptitude à survivre en milieux hostile et d'autres éléments plus complexes. Kahn n'eut pas la chance d'être choisi et sa famille non plus d'ailleurs, sa réaction aurait pu être d'exploser, de tout arrêter, d'être indigné ou même encore d'émettre une objection, c'était tout de même lui le concepteur du salut de l'humanité. Mais non, il était tout simplement résigné, comme à son habitude, de manière semblable aux fois où sa femme le réprimandait quant à ses absences répétées et qui la faisait mourir à petit feu de l'intérieur, ou encore quand son meilleur ami lui avait volé la direction du projet qu'il avait conçu, ou aussi quand son patron diminuait sa paie parce que "il aurait pu faire des plans plus simples tout de même, quel incapable!".
Il rentra donc chez lui très tard, comme à son habitude, dans son attitude résignée de toujours, le visage presque satisfait que le monde lui arrache de petits morceaux de sa vie à chaque jour. Mais ce soir-là, il allait changer.
En ouvrant la porte de sa maison, toutes les lumières étaient éteintes, il n'y avait pas un bruit. Rien d'anormal puisque sa famille devait dormir à une heure pareille. Il n'y avait que les tuyaux d'arrivée d'eau qui semblaient glouglouter de manière étrange, comme une légère fuite... Le scientifique soupira, il aurait à appeler le plombier pour faire réparer ça.
Malgré tout, par souci de conscience, il suivit le bruit à l'oreille afin d'en détecter l'origine. Si jamais de l'eau coulait, ils risquaient tous d'avoir une belle surprise le lendemain matin, les pieds dans l'eau.
Mais une autre surprise l'attendait dans la cuisine: face à lui, une sorte d'animal noir semblait rire par saccade, couché au sol, le corps secoué de tremblements...
Il était difficile de bien voir de quoi il s'agissait puisqu'il avait laissé les lampes éteintes.
Plissant les yeux, il fut rassuré en constatant que ce n'était pas une bête mais plutôt un amas de tissus, non, il y avait aussi une personne dans ce tas... Autant de tissus devaient provenir d'une robe ou d'un rideau.
Tout à coup la chose bougea différemment, faisant apparaitre deux petites pierres luisantes. Et là le père comprit la situation.
Sa femme, habillée de sa robe de nuit fleurie qu'elle aimait tant autrefois était étendue sur le sol, immobile, avec autour d'elle un arc-en-ciel de pilules, gélules et autres médicaments semblables à de joyeux bonbons, et par-dessus cette image de sucre mortel se trouvait un petit être, un enfant larmoyant, secoué de sanglots de souffrances terribles, dont les deux yeux brillaient dans l'obscurité, fixant le témoin impuissant de la scène. Les pierres n'étaient autres que ce regard d'un enfant pour son père. Un regard de haine.

C'est à cet instant qu'il avait pris sa décision! Il allait continuer un projet différent en parallèle de celui qu'il avait déjà avec le centre, la vie avait était trop injuste avec lui et lui l'avait trop été avec sa famille. Ce nouveau projet avait pour but de...
"Papa! Bouge-toi! On perd du temps là..."
Lucas observait son père du même regard dur qu'il avait toujours eu pour observer le monde, un regard si triste, qui avait trop vite grandi.
Le scientifique rejoignit son fils près de la porte de l’ascenseur qui devait les conduire dans le couloir principal menant à son bureau, où avait développé le projet Light-Oméga, référence au projet Light développé par le groupe de chercheurs du centre à partir de ses plans, light signifiant lumière pour la lumière que l'on verrait d'après certaines légendes au bout d'un tunnel au moment où l'on mourait. Mais son deuxième plan était bien mieux à ses yeux, puisqu'il permettrait à lui et son fils de se sauver de ce monde qui allait bientôt périr tout en détruisant la première machine, empêchant ainsi les autres humains de répandre leurs vices dans ce nouveau monde.
Mais pour parfaire son idée il avait eu à entrainer son fils au maniement des armes à feu, car lors de la phase d'infiltration dans le centre il risquait d'y avoir des complications. Mais aussi et surtout, on ne savait pas parfaitement ce qui les attendait de l'autre côté.
Pour permettre malgré tout à l'humanité de perdurer, il avait choisi des adolescents des quatre coins du globe pour les sauver eux aussi à leur insu. La chose n'était pas possible à distance sauf si l'on parvenait à leur injecter dans l'organisme un nanosystème électronique se servant de la même technologie quantique que le projet light.
"Parle-moi d'eux." murmura Lucas à son géniteur alors que l'ascenseur commençait à s'élever, comme s'il avait deviné que le père pensait à eux à ce moment précis.
"J'en ai choisi trois. Deux filles et un garçon. Les premiers viennent d'Angleterre, d'une famille aisée, le garçon est formé à l'escrime et la famille a appris par elle-même à se battre, ils seront donc bien préparés à leur arrivée. Ensuite il y a une jeune Chinoise, très énergique, famille aisée elle aussi, son frère est dans un coma profond depuis sa naissance et sans jamais l'avoir connu elle est toujours restée à ses cotés, elle est tellement...pure."
"Pourquoi eux en particulier?"
"Ils ont été choisis de manière aléatoire, je ne l'ai pas décidé. C'était plus juste vis-à-vis du reste du monde je trouve."
Le garçon garda le silence, il n'était pas totalement de l'avis de son père... Pourquoi ne pas sauver un maximum de personnes?
Gardant ses réflexions pour lui, il sortit de l'ascenseur qui s'était immobilisé et mis hors service un autre garde qui allait parler, un air interrogatif sur son visage à présent vide de toute émotion.
"Dépêchons-nous." murmura simplement le jeune.
Ils trottinèrent jusqu'à l'allée des bureaux des employés et entrèrent dans celui qui les concernait en se faisant le plus discret possible, ce qui n'était pas nécessaire puisque quelqu'un les attendait dedans, ayant déjà donné l'alerte.
"Et bien, je ne savais pas que tu serais capable d'entrainer ton propre fils dans tes magouilles. La mort de ta femme ne t'a pas suffi?"
Les Kahn se crispèrent en apercevant l'homme qui avait tout volé du projet Light, il n'était pas prévu dans le plan, que foutait-il ici alors qu'il aurait dû être auprès de la première machine pour se préparer à son voyage dans l'autre monde.
Comme s'il avait compris à l'avance les questions qui se posaient, l'homme prit la parole:
"Je t'ai observé crétin! Tu es tellement facile à suivre... Et prévisible avec ça. J'avais vu que tu apportais des matériaux dans ton bureau, alors je suis entré par effraction et j'ai..."
Un sifflement dans l'air l'interrompit, pour toujours. Lucas rechargea son arme et referma la porte du bureau à l'aide de la clé que son père, hébété par la situation, tenait dans sa main.
"La garde ne va pas tarder, alors on se grouille de lancer ton foutu appareil et on se casse de là en vitesse!"
Le père hocha de la tête en signe de compréhension et se jeta sur son ordinateur et lança le programme de démarrage de Light-Oméga. L'installation avait été faite au plafond, suffisamment haut pour que personne ne la remarque, enfin c'est ce qu'on aurait pu penser jusqu'à maintenant si le cadavre d'un employé du centre ne s'était pas trouvé dans le bureau de Kahn pour la raison inverse.
Un grésillement émanant de l'appareil débuta, se faisant de plus en plus fort au fur et à mesure que le temps passait. Des lumières clignotèrent au plafond et le scientifique parut s'en satisfaire car il afficha un grand sourire.
"Voilà, le processus est en train de s'enclencher pour la Chine et l'Angleterre. Ah! Et prend ce sac derrière toi, il contient quelque chose d'important qui nous sera utile." affirma-t-il avec conviction en pointa une direction qui semblait désigner son fils.
Ce dernier récupéra l'objet et en vérifia le contenu: un ordinateur.
"Aura-t-on vraiment..." Commença-t-il avant d'être interrompu par la porte qui s'ouvrit à la volée par un homme armé de ce qui semblait être une mitraillette qu'il pointa en direction du scientifique, négligeant l'enfant qui avait dégainé et tiré. Plaçant le sac sur son dos, il sortit rapidement de la pièce pour empêcher d'autre personne d'entrer, lançant simplement un "magne ton cul!" à son père qui fit de son mieux pour accélérer le processus.
Plusieurs coups de feu éclatèrent dans le couloir et Kahn priait pour que sa progéniture s'en sorte indemne, il avait confiance, bien entendu, mais c'était plus fort que lui, le projet était devenu tellement concret et tellement énorme que l'adrénaline avait noyé tout son corps devenu tremblant.
Enfin, le programme daigna lancer la machine qui projeta un arc électrique sur le sol avec un bruit sec ressemblant à celui qu'on entendait lorsque l'on prenait une gifle... Ayant reconnu le bruit que lui avait décrit son père, le jeune Lucas pénétra à nouveau dans la pièce, à reculons cette fois-ci, son arme braquée devant lui, libérant parfois un trait mortel. Une tache rouge s'élargissait au niveau de son épaule mais il n'avait pas l'air de l'avoir remarqué.
"J'y pense, cria-t-il soudain pour couvrir le bruit des coups de feu, ton engin va se détruire après avoir été utilisé? N'importe qui pourrait nous suivre!"
L'homme de science blêmit, il n'y avait pas pensé. Trop tard, ils devraient faire avec.
"Non, ce n'est pas grave, on trouvera un moyen de bloquer le passage! Viens, filons d'ici!"

Et l'homme se jeta sous l'arc électrique qui le désintégra.
Le fils continuait de mettre en joue son groupe d'ennemi qui se faisait de plus en plus imposant, il recula jusqu'à être à un centimètre à peine du passage, puis il dévia son arme et tira dans l'ordinateur de son paternel qui explosa sous le coup.
A ce moment-là, le garçon sentit un changement opérer en lui, quelque chose se troubla, ses sens se mirent en alerte: un danger se préparait. Il comprit que cela allait bientôt arriver, la fin du monde était à quelques secondes de ce moment. Il fit un pas en arrière et disparut alors que le faisceau d'électricité s'éteignait avec le reste de l'humanité.


                                                           ***


Un enfant d'une quinzaine d'années, de petite taille, les cheveux bruns coupé plutôt court sur une tête rondelette pour un corps mince et doté d'une paire d'yeux noisettes par-dessus un nez aquilin surmontant lui-même une bouche tordue en une moue qui donnait l'impression de tout juger, venait d'apparaitre au centre d'une plaine aux côté de son père qui était au summum du bonheur.
"On a réussi! On est passé de l'autre coté!"
"Ouaip. On fait quoi maintenant?" Demanda Lucas sans s'attarder sur la joie naïve de son père.
Montrant le sol qui avait plus l'air d'être artificiel que de faire partie du décor de mère nature sous lui, l'homme expliqua:
"J'ai installé une cache ici avec les réserves dont je t'avais parlé: armes, munitions, nourriture, de la lecture aussi et d'autres petites choses utiles. Il y aussi un système de réseau qui fonctionné à la manière d'un satellite, projetant des ondes sur toute cette planète afin d'envoyer les informations nécessaires aux autres humains qui doivent être eux aussi arrivés. Sous mes pieds il y a en fait une porte verrouillée par un système de reconnaissance vocale à ma voix et la tienne, il suffira donc que toi ou moi lui demandions de s'ouvrir pour qu'elle accède à notre demande, il en va de même pour la refermer."
Le fils voulut poser une question mais il fut surpris de voir qu'une moitié de son père avait disparu, laissant un corps avec un bras, une jambe, une tête miraculeusement intacte et un abdomen sanguinolent dans un tel état qu'il était incroyable que ce tas de viande qui restait puisse encore vivre. Une bête énorme ressemblant au croisement entre un lion et un tas de moisissure verdâtre venait de trouver son repas. Se préparant à le finir, elle ne put voir qu'on lui avait enfoncé une bonne dizaine de balles de pistolet dans le crâne et qu'à présent, ne ressemblant plus du tout à un lion, elle tombait tel ce qu'il restait d'elle: un tas de moisissure informe qui ne pourrait que pourrir après avoir ôté la vie à une créature pour rien. Lucas s'avança vers l'homme qui fut autrefois son père, il respirait d'une manière rauque qui répugnait le garçon tandis qu'une odeur de sang s'élevait dans l'air, formant un parfum étrange en se mêlant avec l'odeur de la poudre. L'homme
agonisait, il ne pouvait survivre c'était certain, son sang recouvrait la porte cachée de l'endroit qui aurait dû le protéger, lui et son fils, quelle ironie.

Sachant parfaitement quoi faire, Lucas Kahn leva son arme et la plaça entre les deux yeux de son père. Lui éviter toute souffrance inutile...
"Merci papa, tu as parfaitement réussi ton plan."
Et il tira.

2 commentaires:

  1. Il est plutôt froid le fils... Pourtant, il vient de perdre son père...

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  2. C'est le but. Il est haineux, froid, calculateur... Il se détache de ses émotions afin de réussir là où son père a échoué. Enfin bon... On comprendra mieux sa personnalité dans le futur.

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